Cela faisait pas moins de quatre jours que j’étais allé à mon premier rendez-vous avec le docteur Solhanne qui prétendait vouloir m’aider avec mon pouvoir de lecture de pensées. Soit, quatre jours que j’essayais de voir cette malédiction autrement que comme un moyen de protection contre les autres qui pourraient me faire du mal ou m’utiliser d’une façon ou d’une autre. Etant donné que ma tutrice ne cessait de me mettre en garde contre tous les dangers que je pouvais rencontrer dès qu’elle m’appelait, ce n’était pas facile. Malgré tout, il semblait que les choses commençaient à bouger puisque j’entendais dans un rayon plus large qu’à l’accoutumée les pensées des personnes autour de moi depuis environ deux jours. Je n’arrivais pas à croire que je me retrouvais dans cette situation. C’était pire que mieux ! La première nuit, je n’avais pas compris ce qu’il m’arrivait et ce n’est qu’au milieu de la journée du lendemain que je m’étais rendu compte que c’était comme si mon don avait décidé de me pourrir la vie jusqu’au bout. Depuis lors, j’avais dormi extrêmement mal toutes les nuits et ma fatigue n’avait cessé de s’accumuler. Un enfer !

Ce jour où je supportais ce pouvoir amplifié pour vingt-quatre heures de plus, je ne parvins à faire autrement que m’endormir sur ma table en cours de langue maternelle. Mon professeur, Mikazuki-sensei, était réputé comme étant une personne dangereuse. Ma réputation n’étant pas bonne à cette époque-là, je peinais à croire à ce genre de bruits de couloir. Puis, de toute façon, après pratiquement trois nuits blanches d'affilée, ce n’était pas comme si j’avais le choix, même avec ma migraine et les pensées constantes que j’entendais sans cesse. Ce qui me réveilla en sursaut fut un bruit sourd, me ramenant à ce brouhaha qui ne semblait plus vouloir s’arrêter alors même que je m’asseyais, comme d’habitude, le plus loin possible de tout le monde.

Longuement, je cachai un bâillement incontrôlable derrière ma main tandis que je peinais à écouter les instructions de mon professeur. Ce n’est donc que lorsqu’il termina son explication que je compris qu’on allait faire un exercice. Puis, seulement quand il commença à appeler les personnes deux à deux que je réalisai que j’allais devoir supporter quelqu’un à mes côtés. Quelle poisse ! Comme si cela ne suffisait pas que je sois au bord de la crise presque toutes les deux heures depuis deux jours ! Je ne pus m’empêcher de soupirer en laissant mon front rencontrer le bois frais de ma table sans un bruit. Je ne me relevai qu’au moment de récupérer le devoir à faire.

- M’ci, m’sieur…

Je l’avais plus ou moins deviné grâce au bruit de la chaise à côté de moi, mais Ootsuka-san était arrivée juste avant le passage du professeur et ce fut elle qui récupéra la dizaine de pages que nous devions remplir. Mais c’était étrange : je ne parvenais pas à entendre ce à quoi elle pensait. Était-ce noyé au milieu de toutes les autres voix qui me parvenaient, ou était-ce comme avec mon soignant ? A moins qu’elle n’ait pas la moindre pensée. Quelle que fut la raison, rien n’allait changer si je venais à la connaître. Alors, je tentai de me concentrer sur cet exercice dont je n’étais pas sûr des consignes. Une main soutenant ma tête douloureuse en cachant mon œil gauche, j'essayais de lire ce qui est écrit. Je me rendis néanmoins rapidement compte que je n’ai pas mes lunettes sur mon nez, me tirant un nouveau soupir, léger mais exaspéré. Je quittai alors la feuille des yeux pour m’emparer de mon étui à lunettes pour poser leur contenu sur mon nez. Puis, dans la même position que je venais de quitter, je tentai de reprendre ma “lecture” pour essayer de comprendre ce que je devais faire. Que je réussisse ou non, il semblait fort probable qu’il allait m’être très difficile d’aider ma partenaire pour “décomposer” et “expliquer” puisque j’avais déjà des problèmes pour lire.

Je commençais à peine à comprendre l’exercice qui nous était demandé par Mikazuki-sensei que je vis la feuille m’échapper des mains. Pas en tombant. Non, non. Ce fut tout bêtement ma partenaire de travail qui me la prit sans prévenir. En tournant la tête, je la vis même l’enfourner rapidement dans son sac avec toutes les autres et sa trousse. Cela fait, son cartable sur l’épaule, elle s’approcha de moi qui la regardais sans comprendre ce qui était en train de se passer. Comment aurais-je pu deviner ? Je parvenais à peine à réfléchir et, maintenant que j’y pense, c’était un miracle que j’ai pu tenter de déchiffrer les kanji avec une telle migraine. J’étais tel ces personnages de dessins animés européens qui ont la tête qui explose pour un oui ou pour un non.

A cause de mon incompréhension la plus totale, je ne bougeai pas tout de suite alors que Ootsuka-san me prit le bras pour essayer de me faire lever. Je la regardai en attendant une réponse orale de sa part. N’était-ce pas la moindre des choses ? Je sais que je ne supportais pas le moindre son et qu’elle ne parlait peut-être pas pour m’aider, mais comme je ne comprenais rien du tout de ses intentions, j’avais besoin qu’elle me parle. Heureusement, cela ne tarda pas puisqu’elle sembla me parler d’aller dans la salle du Comité de Discipline qu’elle qualifia de “plus calme”. Sans doute le serait-elle bien plus, je n’avais aucune raison de croire le contraire. Par contre, je portai un oeil au professeur dont je craignais un peu la réaction. Lui en avait-elle parlé en amont ? Avait-il seulement accepté ? Étrangement, cela me parut tout bonnement étrange puisque les prof’s sont censés avoir un rôle de surveillant en plus de nous apprendre toutes sortes de choses. A moins que cet accord était dû au rôle de ma camarade de classe qui, justement, appartenait au Comité de Discipline ? Je ne sus pas vraiment quoi en penser, mais ce ne fut pas comme si j’étais capable d’aller à l’encontre de la volonté d’autrui en l’instant. Je lui répondis donc un simple “OK” à peine articulé avant de ranger à mon tour mes affaires.

Après m’être difficilement levé de ma chaise, je mis mon sac sur mon épaule et me traînai à la suite de Ootsuka-san. Le premier étage… Pour être franc, j’eus l’impression que mon but était hors de portée. La seule chose positive que je pus constater à mesure que nous avancions vers les endroits loin de toute autre forme de vie était que je ne parvenais ni à lire les pensées de ma camarade de classe, ni à ressentir ses émotions. Bien que ceci ait un aspect effrayant parce que je ne savais pas si je pouvais lui faire totalement confiance, c’était également comme une bouffée d’air frais après être resté trop longtemps en apnée. Puis, n’est-ce pas une opportunité pour essayer de travailler comme le médecin du collège me l’a conseillé ? Avec un peu de chance je pourrais trouver du positif dans ce qu’il m’a dit malgré les récents événements ? Je n’y croyais pas vraiment, mais cela ne coûtait rien d’essayer.

Lorsque nous fûmes arrivés à la salle du Comité de Discipline, j’allai m’installer le plus loin possible de la porte, du couloir et de l’extérieur. Je m’assis alors à la table et, profitant que ma migraine s’atténuait progressivement, je marmonnai avec un air clairement soulagé :
- Merci…

Je pris un peu de temps pour me reprendre un peu plus. Puis, sortant mes affaires pour travailler, puisque je n’allais pas la laisser bûcher alors qu’elle venait de me sauver la mise, très clairement, j’ajoutai en articulant un peu plus :

- Je t’en dois une.

Mes maux de tête n’allaient certainement pas me lâcher aussi facilement. Surtout qu’ils avaient atteint un palier assez haut sur l’échelle de la douleur. Neuf ou dix. Heureusement, nous avions au moins deux heures avant que je ne sois dans l’obligation de supporter cette torture à nouveau. Serait-ce suffisant pour calmer tout cela avant de recommencer ? Dans tous les cas, je n’étais pas pressé d’y retourner, même si pour cela j’étais destiné à travailler plusieurs journées d’affilée sans m’arrêter.